Historique de la lutte pour une convention collective distincte des SC

En 1992, la Loi sur la réforme de la fonction publique ordonnait la réorganisation des unités de négociation en groupes de négociation plus grands, tels que nous les connaissons aujourd’hui. Pour les membres du secteur public de l’UCET, il s’agissait du groupe Services des programmes et de l’administration, du groupe Services techniques, du groupe Enseignement et bibliothéconomie, et du groupe Services de l’exploitation (également connu sous le nom d’unité de négociation SV).

Le 18 mars 1999, le Conseil du Trésor définissait ainsi le groupe professionnel SV :

Le groupe Services de l’exploitation comprend les postes qui sont principalement liés à la fabrication, l’entretien, la réparation, l’utilisation et la protection de machines, d’équipement, de véhicules et d’installations et de structures du gouvernement, dont les immeubles, les navires, les installations fixes ou flottantes, les entrepôts, les laboratoires et l’équipement ; et la prestation de services d’alimentation, de services personnels et de services d’appui à la santé[i].

Plus précisément, l’unité de négociation SV était le produit de la fusion de 15 unités de négociation distinctes qui comprenaient non seulement les équipages des navires et les membres gardien(ne)s de phare, mais aussi les personnels des hôpitaux, les pompiers/pompières, les hommes et femmes de métiers, mécanicien(ne)s de chauffage et force motrice, et employé(e)s des services d’imprimerie.

Il a suffi de quelques rondes de négociations seulement pour vite se rendre compte que cette réorganisation ne fonctionnait pas bien pour nos membres SC. En tant que détentrice du certificat d’accréditation, l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) a déposé une demande, le 31 mars 2009, auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), conformément à l’article 43 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, afin de modifier l’unité de négociation en y extrayant les SC et de faire en sorte que ce groupe devienne une unité de négociation autonome.

Comment en est-on arrivé là ?

Pour bien saisir ce qui a motivé une demande de table SC distincte, il convient de passer en revue les étapes que les SC ont dû franchir dans le domaine des négociations collectives.

Il faut remonter à 1968 pour voir que l’AFPC fut alors accréditée comme agent négociateur du groupe SC. Ainsi, pendant plus de 30 ans, l’AFPC a négocié des conventions collectives distinctes pour l’unité de négociation SC. Avec la fusion opérée en 1999, l’AFPC a dû négocier pour le groupe SV nouvellement créé. Au moment de la demande de création d’une unité SC distincte, quatre rondes de négociations collectives étaient à mettre à l’actif de l’AFPC.

Lors de la première ronde en 2000, l’AFPC et le Conseil du Trésor convinrent de prolonger l’ancienne convention collective d’une année de plus et d’y inclure une augmentation de salaire, la raison en étant qu’une nouvelle Norme générale de classification (NGC) devait être prochainement mise en œuvre. On pensait alors que cela pourrait avoir un impact important sur la structure salariale de l’ensemble de la fonction publique fédérale, aussi les deux parties s’entendirent pour attendre les détails de cette nouvelle norme, d’autant plus qu’elle pouvait avoir un impact sur les taux de rémunération.

La ronde suivante de négociations eut lieu de 2001 à 2003, époque durant laquelle il devint évident que la NGC ne verrait pas le jour et, par conséquent, qu’aucun des problèmes de rémunération des SC ne serait réglé. Un bureau de conciliation recommanda toutefois que soit entreprise une étude sur les salaires pour chacune des professions de l’unité de négociation SV, y compris les SC. Les questions relatives aux jours de relâche ne furent pas abordées à ce moment-là, et les membres de l’équipe de négociation qui n’étaient pas des SC n’appuyèrent pas cette initiative de l’équipe de négociation.

Les résultats de l’étude sur les salaires furent révélés peu après le début de la ronde de négociations 2003-2007. Le taux de réponse pour la comparaison des rémunérations des SC ayant été très faible, l’échantillon n’était donc pas représentatif du marché du travail extérieur à celui des SC. Pour les autres unités du groupe SV, l’étude recommandait des augmentations salariales substantielles.

Lors des congrès de l’UCET de 2002 et 2005, des résolutions furent adoptées pour que les membres du CS disposent de leurs propres tables. Il a fallu attendre le Congrès 2006 de l’AFPC, et en grande partie grâce au confrère Richard Côté, membre à vie de l’UCET, pour que cette résolution soit adoptée à l’unanimité par l’assemblée de ce congrès.

En guise d’offre finale à l’issue des négociations, le Conseil du Trésor accepta d’augmenter les taux de rémunération de 40 % par rapport à ce que l’étude recommandait. Les augmentations salariales pour tous les groupes se situaient entre 5,4 % et 19,4 %, alors que les membres du groupe SC se virent offrir une augmentation salariale de 2,6 % seulement.

Qui plus est, cette offre ne répondait à aucune des préoccupations suscitées par le système des jours de relâche que les membres SC avaient pourtant soulevées. Il s’ensuivit toutefois que l’offre finale fut acceptée par la majorité des membres de l’unité de négociation SV, ce qui signifiait ni plus ni moins que les problèmes des membres SC concernant leurs taux de rémunération ou encore ceux liés au système des jours de relâche ne furent en aucun cas abordés par l’employeur.

Au cours de la ronde de négociations suivante, de 2007 à 2011, le Conseil du Trésor et le syndicat s’entendirent pour créer un sous-comité de l’équipe de négociation qui serait chargé de questions spécifiques au CS, dans le cadre d’un mandat très clair lui interdisant de modifier la convention collective, et l’autorisant seulement à présenter des changements à l’ensemble de l’équipe de négociation. Malheureusement, les recommandations de ce sous-comité ne débouchèrent sur rien, l’équipe de négociation du syndicat étant contrainte d’accepter l’offre finale de l’employeur sous la menace d’une législation spéciale qui suspendrait la négociation collective. Dans son offre finale, le Conseil du Trésor indiquait les taux de rémunération nationaux pour la majorité des membres de la table SV. Toutefois, aucun changement ne fut apporté aux conditions de travail ou encore aux taux de rémunération des SC puisqu’ils étaient rémunérés aux taux nationaux depuis 1980.

Les membres SC sont confrontés à un autre défi, celui de savoir comment résoudre des problèmes lorsque les négociations collectives avec l’employeur échouent. Les membres SC étant considérés essentiels, ils ne peuvent donc pas exercer leur droit de grève. Ils préfèrent choisir l’arbitrage en cas d’impasse avec l’employeur, mais les autres groupes de l’unité de négociation SV ont plutôt choisi quant à eux la conciliation avec droit de grève.

L’audition

Cette affaire fut entendue par le juge Renaud Paquet devant la CRTFP à Ottawa (ON) du 15 au 18 mars 2021.

Outre le personnel de l’AFPC, les membres de l’UCET Randy Anderson (région Pacifique), Donald Drapeau (région Québec) et Dave Walsh (région Atlantique) apportèrent leurs témoignages. Les employé(e)s de l’Union des employé(e)s de la Défense nationale y étaient également représenté(e)s par Gary Fraser. Collectivement, ces membres avaient chacun plus de 25 ans de service en tant que membre d’équipages de navire, et chacun avait participé au moins aux deux rondes de négociations, voire aux quatre dernières, depuis la création de l’unité de négociation SV.

Les témoins donnèrent une description des conditions de travail des membres d’équipages des navires, soulignant les cas de discrimination et d’injustice qu’ils avaient subis depuis la création de la table SV. Les officiers et officières de navire (SO) ne sont pas inclus dans une unité de négociation distincte. En 2000, peu après la création de la table SV, les salaires des SC représentaient 86,9 % de ceux des SO. En 2010, cet écart est passé à 77,1 %, soit une baisse de 10 %. En dollars, cela représente une différence de 5 627 dollars en 2000 à 14 034 dollars en 2010[ii].

Dans sa décision, Renaud Paquet, membre de la CRTFP, a noté que les preuves présentées par l’AFPC démontrent que les SC n’ont pas été en mesure de réaliser des gains substantiels à la table de négociation depuis la création de l’unité de négociation SV. ‘Leurs priorités ont cédé le pas à celles des autres employés, qui constituent la majorité de l’unité de négociation[iii].

L’AFPC fit valoir qu’il n’y avait pas de communauté d’intérêts entre les SC et les autres employé(e)s de l’unité de négociation SV, en grande partie en raison de leurs conditions de travail. Elle souligna notamment que depuis la fusion, le groupe SC n’avait pas été en mesure de traiter correctement ses problèmes à la table des négociations. Étant donné que les SC constituent un petit groupe au sein de l’unité de négociation SV, ses priorités sont mises de côté pour obtenir d’autres gains qui profitent à la majorité.

L’AFPC ajouta par ailleurs que, même si rien n’en est ressorti, l’accord conclu par le Conseil du Trésor pour créer un sous-comité SC reconnaît le caractère unique des membres SC.

Le Conseil du Trésor, en revanche, avança que l’AFPC ‘n’a pas produit de preuve pour appuyer le fait que, depuis la création de l’unité de négociation du groupe SV en 1999, des changements importants ont été apportés à l’organisation du travail, aux conditions de travail ou à toute autre question organisationnelle qui pourrait affecter les SC et justifier la fragmentation de l’unité de négociation existante.’ (Paragraphe 44)

Le Conseil du Trésor estima que l’historique de la négociation collective avait démontré qu’une représentation satisfaisante avait bien eu lieu, notamment que ‘Les SC pourraient avoir certains intérêts spécifiques, mais ils ne sont pas uniques. L’un des principes qui sous-tend le processus de la négociation est que les agents négociateurs se doivent de prendre en considération et de concilier les intérêts divergents de leurs membres.’ (Paragraphe 46)

Il prétendit en outre que les lois sur les restrictions salariales, telles que la Loi sur le contrôle des dépenses, avaient eu un impact sur les négociations collectives, rendant difficile toute conclusion définitive sur l’efficacité de la structure de négociation.

Le Conseil du Trésor rejeta les témoignages des membres des syndicats, déclarant que ‘la preuve sous forme d’opinion produite par les témoins à l’audience n’établit pas que la structure actuelle de l’unité de négociation ne permet pas une représentation adéquate des SC.’ (Paragraphe 51)

Décision de M. Paquet

  1. Paquette commença par dire que le fardeau de la preuve incombait à l’AFPC, qui devait prouver que la structure de l’unité de négociation SV ne permettait pas une représentation satisfaisante ni une négociation collective appropriée pour les SC.
  2. Paquette déclara que l’AFPC avait produit ‘beaucoup d’éléments de preuve’ pour étayer le caractère unique des conditions de travail des SC. (Paquette, page 9, paragraphes 33 et 55.) Il résuma ainsi la présentation de l’AFPC :

‘…les SC ont des conditions de travail uniques…. Les SC travaillent sur des navires en mer, mais les autres SV ne le font pas. Contrairement aux autres employés de l’unité de négociation du groupe SV, la plupart des SC ont un horaire de 28 jours consécutifs en mer, loin de la maison. Cela signifie que leurs conditions de travail sont uniques au sein de l’unité de négociation du groupe SV et que leurs exigences à la table de négociation sont uniques[iv].’

Il reconnut que, même si une grande partie des tâches des SC sont comparables à celles des autres membres du groupe SV, les conditions dans lesquelles ces tâches sont accomplies sont très différentes. Il ajouta par ailleurs que l’AFPC avait démontré que les SC pourraient constituer une unité de négociation unifiée viable.

Indépendamment de cela, M. Paquette expliqua que son rôle, tel que défini par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, était de ‘déterminer si la structure actuelle de l’unité de négociation ne permet pas une représentation adéquate, et non si celle qui est proposée la permettrait.’ (Paragraphe 57) En d’autres termes, il lui fallait déterminer si la structure de l’unité de négociation SV permettait ou non une représentation adéquate des SC – et non pas si l’unité de négociation SV répondait aux attentes des SC au cours de son histoire relativement brève. (Paragraphe 64)

Pour ce qui concerne la jurisprudence, M. Paquette nota qu’aucune des décisions antérieures acceptait de fragmenter une unité de négociation ou d’en créer une qui ne corresponde pas à des groupes ou sous-groupes professionnels. S’il décidait de l’accepter, ce serait alors une toute première.

Il déclara en outre être certain que l’AFPC et ses témoins sont convaincus que les CS ne sont pas satisfaits de ce qui a été obtenu à la table des négociations. Cependant, quatre rondes de négociation ne sont pas suffisantes pour conclure qu’une unité de négociation n’accorde pas une représentation satisfaisante à un groupe d’employé(e)s. Il fit remarquer que cela est d’autant plus vrai que les rondes de négociation de 2000 et de 2007-2011 ne peuvent être considérées comme des rondes «normales».

  1. Paquette souligna que la structure de l’unité de négociation n’est qu’un des facteurs qui conduisent à une représentation satisfaisante des salarié(e)s et, en fin de compte, à des résultats appropriés ou satisfaisants dans le processus de négociations collectives. Il déclara que les preuves démontrent que les SC ont la possibilité, au sein de la structure de l’unité de négociation, de préparer des revendications contractuelles satisfaisantes et d’être en mesure de les présenter au Conseil du Trésor. Le fait qu’elles ne soient pas prioritaires pour d’autres groupes au sein de l’unité de négociation ne signifie pas pour autant que la structure de négociation empêche les SC d’atteindre leurs objectifs.
  • Pour cette raison et pour d’autres citées dans sa décision, M. Paquette a rejeté la demande. Malgré cela, il estime que les SC n’ont pas reçu leur juste part des améliorations salariales au cours des dix années qui se sont écoulées depuis la création de l’unité de négociation SV. ‘En toute équité pour les SC, je crois que les parties, et en particulier le défendeur, devraient se pencher sérieusement sur cette situation et déployer de véritables efforts pour la régler dans les limites de la structure actuelle de l’unité de négociation.’ (Paragraphe 74)

Il fit par ailleurs cinq suggestions sur la manière dont cela pourrait être réalisé dans le cadre de la structure existante de l’unité de négociation SV :

  1. Un sous-comité SC – les parties pourraient entreprendre des négociations formelles dans moins d’un an. Rien n’empêche les parties de commencer maintenant à discuter du mandat et du mode de fonctionnement du sous-comité afin qu’il soit prêt à entreprendre ses travaux peu après la signification de l’avis de négocier.
  1. Co-élaboration des améliorations au milieu de travail­ – l’AFP et le Conseil du Trésor pourraient élaborer ensemble des améliorations au milieu de travail qui toucheraient expressément l’horaire et l’organisation du travail des SC, conformément aux articles 9 et 10 de la Loi.
  1. Une étude conjointe sur la rémunération – l’AFPC et le Conseil du Trésor pourraient entreprendre conjointement, avec ou sans le soutien des services d’analyse et de recherche en matière de rémunération de la Commission une étude sur la rémunération des SC pour avoir un meilleur portrait de la situation de leur rémunération  
  1. Engagement conjoint dans un processus de négociation à deux niveaux – en vertu de l’article 110 de la Loi, les parties et les administrateurs généraux de la GCC et du MDN pourraient s’engager conjointement dans un processus de négociation à deux niveaux pour les SC. Dans le cadre de ce processus, elles pourraient décider de négocier conjointement les modalités et conditions d’emploi des SC, même si les SC font partie de l’unité de négociation élargie des SV.
  1. Mode substitutif de règlement des différends – les parties pourraient convenir de renvoyer à un mode substitutif de règlement des différends toute modalité et condition d’emploi des SC, y compris les salaires. Même si l’unité de négociation du groupe SV continue de choisir la voie de la conciliation, les parties pourraient renvoyer certaines conditions de travail à un processus décisionnel final et exécutoire similaire à l’arbitrage exécutoire.
  2. Paquette finit par conclure que ces options plus d’autres existent déjà au sein de la structure de l’unité de négociation pour traiter les questions des SC. En conséquence, il a rejeté la demande de l’AFPC pour une unité de négociation séparée pour le groupe SC.

[i] Gazette du Canada, Partie I, Volume 133, No. 13, page 184

[ii] Alliance de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor – CRTFP Dossier No. 525-02-19 (20100426) entendu par Renaud Paquet

[iii] Décision Paquet, page 9

[iv] Décision Paquet, page 10, para 39

***(AVERTISSEMENT RAPIDE : LES 2 BOUTONS AU-DESSUS DE CETTE LIGNE MÈNENT À DES SOURCES EXTERNES qui ne sont pas gérées par l’ucet).***

© 1969-2024 | Union Canadienne des employés des transports | Tous droits réservés.

This is a staging environment