Le bâtiment en briques rouges – Une histoire vraie des pensionnats autochtones au Canada

Par Mikelle Sasakamoose une membre de la section locale 20219 de l’UCET

Dans ma jeunesse passée dans la réserve indienne de Kamloops, les enfants avaient pratiquement le droit de circuler librement sur le terrain de l’ancien pensionnat.

Il y avait une piscine creusée à l’avant, où nos parents nous déposaient les jours d’été avant d’aller travailler au bureau de la bande ou à l’un des quelques bureaux de l’ancien presbytère.

Entre les ‘bombes’ dans la piscine et les séances de bronzage sur la plaque d’acier d’un puits voisin pour profiter des chauds rayons du soleil, les enfants exploraient l’édifice voisin, en grande partie vide et inutilisé, à l’exception de quelques bureaux et d’une cafétéria. Nous savions que ce bâtiment en briques rouges, comme nous l’appelions, avait été un pensionnat, mais cela ne signifiait rien pour nous. Ce qui nous a émus, c’est le simple fait de savoir que de bien vilaines et horribles choses étaient arrivées à des enfants à cet endroit – d’abominables choses.

Alors que nous courions dans le couloir du rez-de-chaussée du bâtiment, les quelques courageux et courageuses par mi nous passaient devant les anciennes toilettes des garçons, où beaucoup juraient avoir vu un petit garçon pleurer près du grand urinoir rond au milieu de la pièce.

De l’autre côté, dans l’aile des filles, nous inondions la rangée de baignoires et glissions à n’en plus finir devant les lavabos, puis attendions dans la cuisine du sous-sol que Laura – qui avait été élève ici – nous serve le déjeuner, avant que les adultes ne viennent acheter le leur. Nous jetions un coup d’œil furtif derrière son visage souriant jusqu’au mur où nous imaginions que se trouvait le monte-plats, parce que nous avions entendu dire que les enfants avaient l’habitude d’y être mis et laissés, coincés entre les étages et entre les murs dans l’obscurité, lorsqu’ils n’avaient pas été ‘gentils’.

Des années plus tard, alors que j’étais adolescente et que je travaillais tard à un boulot d’été dans un bureau étouffant à l’étage de l’ancienne école, j’ai eu froid et les poils de mes bras se sont dressés. J’ai écouté, figée, le son des pleurs, provenant – apparemment de façon impossible – de l’intérieur des murs.

Un autre été, j’ai travaillé comme paysagiste dans le parc du patrimoine et au musée qui célèbre la culture et l’histoire des Secwepemc, situé maintenant juste en dessous de l’école dans une ancienne pommeraie. Nous y entreposions l’équipement dans un vieux petit hangar sur la propriété.

Un jour, alors que j’essayais d’échapper à la chaleur étouffante (et aux yeux indiscrets de mon strict patron), j’ai fermé la porte du hangar derrière moi et me suis assise sur la tondeuse à gazon pour fumer. Il faisait étonnamment frais à l’intérieur. Alors que mes yeux s’adaptaient à la pénombre, je me suis aperçue pour la première fois, après des semaines passées à entrer et sortir, à prendre ceci et à ranger cela, que des mots étaient écrits sur les murs.

Cette écriture était celle d’enfants – une sorte de dialogues entre petits.

Plus tard dans la journée, lorsque j’ai croisé le chemin du gardien du terrain, il m’a dit qu’il avait été élève à une époque, dans un autre pensionnat je crois, et je lui ai posé des questions à ce sujet. Willy était un gars amusant. Il me couvrait pendant que je m’éclipsais pour m’amuser à un jeu quelconque avec un bâton, et il plaisantait toujours. Mais lorsque je l’ai interrogé sur la cabane et sur ce que j’avais vu, une ombre est apparue sur son visage.

Il m’a dit qu’ils avaient l’habitude d’y mettre les élèves ‘malades’ et parfois ‘mauvais’, et que les enfants communiquaient par écrit, car ils n’avaient pas le droit de parler. Certaines personnes ont également dit que les enfants qui étaient morts à l’école étaient enterrés dans des tombes anonymes dans le verger de pommiers.

En 2013, je suis allée à l’événement national de la Commission de vérité et réconciliation en Colombie-Britannique, qui s’est tenu sur le terrain de la Pacific National Exhibition à Vancouver. L’arène principale était remplie de kiosques d’information et de vendeurs et, tout au bout, il y avait une zone pour les témoignages publics, fermée seulement par de minces rideaux.

N’importe qui pouvait s’y rendre pour parler et avoir un public, composé principalement de représentants de diverses églises. Des témoignages émouvants et douloureux étaient diffusés en direct par des haut-parleurs. Un jour, je suis allée m’asseoir seule dans les gradins, derrière les rideaux. De nouveau, j’ai entendu des pleurs provenant de l’intérieur des murs.

J’ai écouté une femme qui pleurait, racontant comment des prêtres l’avaient violée. C’était une petite fille effrayée, séparée de sa famille et de ses amis, qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait ou pourquoi on lui faisait du mal, encore et encore. Une fille qui ne comprenait pas, qui ne le pouvait pas – et qui ne le peut toujours pas – pourquoi des hommes et des femmes adultes, censés être là pour la ‘sauver’, l’agressaient.

Cette femme a raconté comment elle a pu quitter le pensionnat lorsqu’elle était adolescente. À peine rentrée à son domicile, elle a sombré dans les drogues et l’alcool pour essayer d’échapper aux souvenirs qui la hantaient.

Elle est tombée enceinte à 13 ans, a abandonné son enfant pour les drogues et la boisson, et n’a cessé de noyer sa douleur. Décrivant des années de supplices, de destruction de sa personne et aussi de sa famille, elle a dit qu’elle commençait seulement à accepter ce qui lui était arrivé et la façon dont elle l’avait géré pendant si longtemps.

Parfois, entre deux sanglots, elle hurlait sa colère.

Je ne la connaissais pas, je n’ai même pas vu à quoi elle ressemblait, mais j’ai pleuré avec elle à ce moment-là, et maintenant je suis en colère pour elle. Je suis en colère pour tous ceux et toutes celles qui ont souffert aux mains d’abuseurs opportunistes dans les pensionnats de ce pays, et je pleure pour eux tous et elles toutes.

Les dégâts causés par les pensionnats sur les descendants des survivant(e)s et sur les autres enfants de la communauté, sont encore profonds. Certes, nous devons guérir en tant que peuple, mais comment passer à autre chose après avoir appris ce qu’il s’est passé ? Comment les personnes maltraitées et celles qui continuent à l’être, prises dans un cercle vicieux, peuvent-elles tourner la page sur leur souffrance ?

Je me demande également comment enseigner cette histoire à mes enfants ? Comment puis-je leur parler de la souffrance de notre peuple sans qu’ils aient mal eux-aussi et se mettent en colère ? Comment pouvons-nous y parvenir ?

Pendant des années, depuis que nous étions petits et jusqu’à ce que nous soyons grands, nous avions l’habitude de nous asseoir sur les marches de l’entrée principale du bâtiment en briques rouges, pour nous retrouver et rire un bon coup. Je n’ai jamais pensé à ce que ces escaliers représentaient. Je n’ai jamais pensé aux milliers de petits pieds qui avaient franchi ce seuil, des décennies avant moi. Mais je le fais maintenant, tout le temps.

***(AVERTISSEMENT RAPIDE : LES 2 BOUTONS AU-DESSUS DE CETTE LIGNE MÈNENT À DES SOURCES EXTERNES qui ne sont pas gérées par l’ucet).***

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