Le jour de l’invasion du Parlement

Le 5 avril 1877, des centaines de chômeurs marchèrent sur l’hôtel de ville d’Ottawa, puis se dirigèrent vers la colline du Parlement, pour s’y retrouver à l’intérieur et affronter un gouvernement qui refusait d’aider les milliers de Canadiens sans emploi dans l’une des pires dépressions économiques jamais connues.

Les difficultés financières prirent naissance en Europe puis se propagèrent dans le monde entier. En septembre 1873, une banque américaine, Jay Cooke & Company, un important investisseur en obligations ferroviaires, fit faillite. Le capitalisme fut alors pris de panique et, comme souvent, se répandit. La bourse de New York ferma pendant dix jours, mais une faillite en entraînait une autre ce furent des dizaines de compagnies ferroviaires qui périclitèrent, emmenant dans leur chute d’autres institutions financières, donnant lieu à ce que l’on appela la ‘longue dépression’.

Les hommes valides se rassemblaient chaque matin au marché By de la Basse-Ville dans l’espoir de trouver ne serait-ce qu’une journée de travail. Ceux qui avaient un emploi n’étaient pas beaucoup mieux lotis, car le chômage élevé permettait aux employeurs de réduire les salaires de 1,25 $ par jour à 90 cents, soit une baisse de 28 %. Les travailleurs étaient sous pression et le mouvement syndical, qui avait fleuri au début des années 1870, fut anéanti pendant la dépression, ne laissant qu’une seule section syndicale dans la ville.

Sir Richard Cartwright, le ministre libéral des Finances de l’époque, et ancien président d’une banque qui avait fait faillite en 1869, défendit l’inaction du gouvernement, déclarant que le secteur manufacturier ne représentait que 40 000 emplois et que le gouvernement devait s’occuper des intérêts des 95 % restants de la population active.

Les choses se précipitèrent le matin du 5 avril, lorsque plusieurs centaines de chômeurs se rassemblèrent comme d’habitude. Mais ce matin-là, ils en eurent assez et prirent alors la direction de l’Hôtel de ville. Le maire Waller leur adressa la parole, leur offrant sa sympathie, ce qui est à peu près tout ce qu’il fit. La foule se dirigea ensuite vers la colline du Parlement.

Rassemblés devant les édifices du Parlement, ils demandèrent une entrevue immédiate avec le premier ministre Alexander Mackenzie. Un messager fut alors chargé de trouver le premier ministre qui se trouvait justement dans la ‘salle du Comité des chemins de fer’ pour assister à une réunion du ‘Comité des banques et du commerce de la Chambre’. Quelle ironie !

Mackenzie refusant carrément de rencontrer les travailleurs ceux-ci pénétrèrent en masse dans l’édifice pour le confronter. Ils ouvrirent les portes de la salle du Comité sous les acclamations et encouragements des députés de l’opposition, notamment de leur chef, Sir John A. Macdonald. Lorsqu’il était au gouvernement en 1872, Macdonald avait légalisé les syndicats et était donc considéré comme un ami des ‘travailleurs’. Il eut également la chance de ne pas être au gouvernement au début de la dépression.

Contrairement à la récente invasion de la Maison Blanche dans la capitale américaine, ce ne furent que des voix fortes que les travailleurs apportèrent avec eux. Un chômeur grimpa sur une table pour s’adresser aux travailleurs, criant haut et fort qu’en refusant de les rencontrer, le Premier ministre les avait insultés. Ils présenta cette déclaration au gouvernement :

« Nous, les travailleurs sans emploi d’Ottawa, blâmons sans réserve l’honorable Alexander Mackenzie pour avoir refusé de rencontrer une délégation envoyée parmi nous, pour lui demander son avis sur les chances de travail au cours de la prochaine saison. Nous le condamnons aussi pour avoir permis qu’on nous claque la porte au nez, et demandons aux travailleurs du Dominion de se joindre à nous pour dénoncer le traitement que nous avons reçu. »

Après trois autres acclamations pour ‘Sir John A’, les chômeurs quittèrent le Parlement en bon ordre. Le lendemain matin, une foule de 600 personnes se rassembla une fois de plus à l’Hôtel de ville avant de se rendre au bureau du premier ministre Mackenzie. Cette fois, celui-ci rencontra une délégation composée des deux députés d’Ottawa, d’un député de son propre parti et du maire Waller.

Mackenzie accepta de s’adresser aux hommes, mais n’avait pas grand-chose à offrir aux manifestants affamés. Il déclara que l’aide devrait venir du gouvernement provincial et des organismes de bienfaisance. Il ignora tout simplement les problèmes de chômage dans toute la région, affirmant qu’il s’agissait d’un problème relevant d’Ottawa et que ce n’était certes pas au gouvernement fédéral de s’en occuper. Il leur laissa entendre qu’ils pourraient recevoir une subvention de 100 acres de terres agricoles s’ils allaient dans l’Ouest. Pour montrer qu’il comprenait leur situation, il proposa de lancer une collecte à laquelle les députés contribueraient ‘autant qu’ils le pourraient pour leur venir en aide’.

Cette réponse ne fut pas été bien accueillie, les travailleurs ne cessant alors d’organiser des réunions et autres manifestations, et de prononcer des discours au cours des jours suivants. Une lettre publique fut ensuite envoyée au Sénat pour demander au gouvernement d’entreprendre des travaux publics afin de fournir des emplois et ainsi tenter de soulager leur situation économique désespérée. Le maire Waller distribua des ‘tickets de pain’ à ceux que la ville considérait comme les ‘cas les plus urgents’. De nombreux hommes reçurent du travail destiné à réaliser des améliorations publiques, et par ailleurs les percepteurs d’impôts eurent l’ordre de ne pas harceler les chômeurs. Un fonds de secours fut organisé par les citoyens les plus riches de la ville, mais la dépression et le chômage persistèrent.

L’année suivante, le Parti libéral de Mackenzie fut défait et les travailleurs aidèrent le Parti conservateur de Sir John A. Macdonald à reprendre le pouvoir. La dépression qui avait commencé en 1873 se poursuivit jusque dans les années 1890. Lors du prochain effondrement du capitalisme, le gouvernement n’était toujours pas disposé à protéger les travailleurs sans emploi. Le mouvement travailliste se lèvera à nouveau et se battra pour l’assurance-chômage et d’autres politiques gouvernementales socialement responsables afin de protéger les chômeurs contre les dépressions économiques recyclées du capitalisme.

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