Le Révérend King et le mouvement syndical

Ce lundi 21 janvier sera l’occasion pour les Américains de commémorer la mémoire de Martin Luther King Jr., ce grand homme et défenseur des droits civiques. Le Révérend King est en effet fortement ancré dans la mémoire des gens pour son travail assidu et courageux en faveur de l’égalité raciale et ce, à juste titre. Toutefois, il était tout autant passionné par la question de la justice économique, ce qui explique qu’il a travaillé étroitement avec le mouvement syndical.

Au cours des années qui suivirent la Guerre civile américaine, les Noirs américains ne jouissaient aucunement de liberté, la ségrégation raciale étant alors codifiée dans la loi et appuyée par l’État. Que ce soient les établissements scolaires, les distributeurs d’eau, les restaurants de tout type ou encore les trains et autobus, toutes les parties de la vie américaine étaient bien sous le signe de la ségrégation. Comme l’a d’ailleurs si bien dit le Révérend King « la ségrégation n’est rien d’autre que l’esclavage maquillé par quelques subtilités de la complexité ».

Malheureusement, le mouvement syndical du début du 20ème siècle aux États-Unis souffrait de maux identiques :

« Les travailleurs, qu’ils soient Noirs ou Blancs, partageaient un intérêt accru pour le syndicalisme, mais du fait que les syndicats étaient dirigés par des travailleurs Blancs qui généralement excluaient les Noirs, les travailleurs Noirs entreprirent de se syndiquer par leurs propres moyens. »

En fait, d’ailleurs dans bien des cas, les syndicats fermaient les yeux sur la codification de pratiques discriminatoires dans leurs propres contrats. Dans la foulée de la Guerre froide, un grand nombre de syndicats se lancèrent dans des campagnes visant à purger leurs rangs de prétendus communistes plutôt que de s’attaquer à la question du racisme en leur sein :

« L’emprise de la ‘Peur rouge’ contre le radicalisme du monde syndical supprima les voix les plus persistantes et militantes en faveur d’une mobilisation interraciale de la classe ouvrière. Elle permit aussi d’empêcher les syndicats de Noirs de prendre pied dans les secteurs difficiles à syndiquer que sont les travailleurs occupant des emplois mal rémunérés, principalement occupés par des gens de couleur et des femmes. »

Il existait toutefois parmi eux des syndicats plus progressistes, dont la United Packinghouse Workers of America (devenu depuis L’Union internationale des travailleurs et travailleuses uni(e)s de l’alimentation et du commerce), qui s’avéra être un allié de poids au mouvement en faveur des droits civiques. Ce syndicat comptait déjà dans sa structure organique son propre Département antiracisme national qui était « considéré comme l’un des groupes les plus actifs et critiques dans la lutte contre la ségrégation ». En mars 1955, ses dirigeants s’engagèrent même à amasser une somme de 10 millions de dollars (soit l’équivalent de 93 millions de dollars américains en 2018) pour mettre fin à la ségrégation, cette somme devant servir à financer la défense des personnes qui défieraient les lois ségrégationnistes et à porter leurs cas devant les tribunaux de juridiction supérieure.

« Défiez la loi et asseyez-vous là où vous le voulez », déclara un délégué à ses confrères et consoeurs de race noire. À peine une année plus tard, Rosa Parks se faisait arrêtée pour avoir refusé de céder son siège à un passager blanc à bord d’un autobus à Montgomery en Alabama, un geste qui déclencha le boycott de la compagnie de bus de Montgomery.

Ce fut donc avec des syndicats progressistes comme l’UPWA que le Révérend King forgea des alliances en premier, et ce furent ces syndicats qui appuyèrent sans réserve le mouvement en faveur des droits civiques et qui se démenèrent pour syndiquer les travailleurs Noirs et hispaniques.

Le Révérend King comprit vite qu’une telle alliance entre le mouvement syndical et celui des droits civiques pourrait faire progresser positivement l’ensemble du pays. Fervent défenseur de la déségrégation et de l’égalité des droits dans la sphère publique, il poussa aussi les syndicats à lui emboiter le pas et à placer des militant(e)s Noir(e)s et hispaniques à des postes de direction.

Une fois entrés dans les années soixante, une véritable relation de symbiose bien en place, les syndicats apportèrent bien souvent leur soutien financier au mouvement en faveur des droits civiques, mobilisant au passage leurs membres. Réciproquement, le Révérend King manifesta son soutien aux grévistes, s’exprima haut et fort publiquement sur les lois antisyndicales, et prit la parole à toutes sortes de réunions et autres congrès.

En 1961, invité à parler devant les délégué(e)s du Congrès de l’AFL-CIO (plus grande fédération de syndicats aux États-Unis), il déclara que le mouvement syndical et la communauté noire partageaient des liens :

« Les Noirs aux États-Unis lisent l’histoire des syndicats et constatent qu’elle reflète leur propre expérience. Nous sommes confrontés à des forces puissantes qui nous disent de compter sur la bonne volonté et la compréhension de ceux qui réalisent des bénéfices en nous exploitant. Ils déplorent notre mécontentement, ils n’apprécient pas notre volonté d’organisation qui nous permettrait de garantir que l’humanité l’emportera et que l’égalité sera arrachée de force. »

Bien que son discours eût fait grandement l’éloge du mouvement syndical, et fut d’ailleurs bien reçu par les délégués, le Révérend King en profita pour s’attaquer à la question de la discrimination au sein même de la fédération. Il décria en effet les situations où des syndicats interdisaient la présence de membres Noirs dans leurs rangs et les empêchaient de se prévaloir de cours d’apprentissage et professionnels.

Tout comme un membre d’une famille s’attend à un meilleur traitement de ses parents par rapport à celui que ses voisins lui réserveraient, la communauté noire, rappela le Révérend King, s’attendait à mieux de la part du mouvement syndical.

Deux années plus tard, le Révérend s’adressa à toute la nation durant la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté à laquelle quelque 250 000 personnes participèrent et où il fit son célèbre discours « J’ai fait un rêve », les syndicats y apportèrent leur soutien :

« À la tribune et parmi le vaste public, on peut voir ces membres de syndicats, femmes et hommes, levant des pancartes à bout de bras, affichant des macarons ou portant des chapeaux réclamant “Emploi équitable, plein emploi” et “Emplois et liberté”. Ces messages de solidarité ont été produits par milliers par des syndicats qui ont également subventionné le système de sonorisation, ainsi que des autobus et avions nolisés qui ont amené des dizaines de milliers de syndicalistes à la Marche sur Washington. »

Cette Marche permit de faire adopter la Civil Rights Act de 1964 que nombre de syndicats endossèrent et appuyèrent.

Vers les dernières années de sa vie, le Révérend King tourna son attention vers la justice économique, et la sortie de la communauté noire de la pauvreté dans laquelle elle était engluée. Le mouvement syndical qui, selon lui, était « le tout premier et avant-gardiste programme de lutte contre la pauvreté » avait également un rôle à jouer dans ce domaine.

« King comprit très bien la puissance que revêtait la syndicalisation du Sud. Il la vit comme un moyen d’élever et d’émanciper les Afro-américains et les travailleurs, et de donner plus de pouvoir à des personnes moins racistes et plus favorables aux syndicats. »

Sa détermination à se battre en faveur des droits des travailleurs à se syndiquer et à demander un salaire minimum vital, lui fit prendre la route de Memphis au Tennessee, là même où il fut assassiné. Un groupe de quelque 1 300 employé(e)s de services d’assainissement avait déclenché une grève après que deux de leurs collègues – Echol Gole et Robert Walker – se firent écrasés à mort par une benne à ordures défectueuse.

Ces employés avaient demandé que la ville de Memphis reconnaisse leur syndicat, mette fin à ses pratiques discriminatoires, leur verse un salaire de subsistance, leur paye leurs heures supplémentaires, et mette convenablement en application les normes de sécurité en vigueur. La plupart des hommes ne gagnaient que 65 cents de l’heure (soit l’équivalent de 4,91 en dollar américain d’aujourd’hui).

Cherchant à faire reconnaître par la ville leur dignité humaine inhérente, ces travailleurs portaient des écriteaux sur lesquels on pouvait lire « Je suis un Être humain ».

« Vous rappelez non pas seulement à la ville de Memphis, mais à l’ensemble de la nation, que vivre dans ce pays aussi riche et ne toucher que des salaires de misère, ce n’est rien d’autre qu’un crime », déclara le Révérend King à l’intention des travailleurs en question.

À peine quelques jours plus tard il était assassiné alors qu’il se tenait sur un balcon d’un hôtel de Memphis. Dans les jours qui suivirent, le président Lyndon B. Johnson ordonna à son sous-secrétaire du Travail de participer aux négociations. Une semaine après ses funérailles, une entente fut conclue, que les membres adoptèrent par scrutin, après quoi leur grève prit fin.

Le rôle fondamental que joua le Révérend King en faveur du mouvement mondial pour les droits civiques ne saurait être sous-estimé. Le travail qu’il accomplit et les paroles qu’il prononça touchèrent à ce point la population amécaine, que son engagement envers la justice économique et le mouvement syndical fut bien souvent éclipsé. En tant que syndicats, nous devons continuer notre travail et nous assurer de reprendre à notre compte la vision du Révérend King – soit de poursuivre la création de telles alliances fondamentales – de façon à mettre véritablement sur pied un mouvement syndical promouvant la justice sociale et économique.

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